"Dans les films de Wu Xia Pian (les films de sabres) la Chine est un tapis de coquelicot qui sent bon la soie fraîche. On s'y tue avec élégance et le sang qui coule a la majesté du Yang Tsé Kiang.
Dans le lecteur de cadavres, Antonio Garrido nous emmène dans la Chine des Song, cette Dynastie de l'An mille, et plus précisément au moment du règne des Song du Sud qui avait fait de Lin'an (l'actuelle Hangzhou) leur capitale. Et ça n'est plus du tout le même voyage que dans Tigres et Dragons.
Ci est un jeune chinois à l'intelligence remarquable qui ne rêve que d'études (initié au savoir par un juge Scherlokhomesque) mais qui se retrouve à labourer derrière le boeuf familial. Mais pas que : le début du "voleur de Cadavres" est une sorte de "livre de Job au pays de la grande muraille". C'est incroyable ce que ce jeune Ci peut ramasser comme ennuis majeurs : ses parents meurent, son frère, minable assassin est en prison et il se retrouve seul à traverser les eaux troubles en compagnie de sa petite soeur, de surcroît atteinte d'une maladie grave. C'est carrément pas de bol. Bien sur il rejoindra Li'an et une nouvelle vie commencera pour lui : affecté aux énormes "champs de la mort" ces cimetières à ciel ouverts, dont il devient le fossoyeur le plus zélé et le plus efficace. Fasciné par la façon dont tous ces gens meurent, il développe de formidables facultés à ce qui deviendra la médecine légale. Ses talents remonteront jusqu'aux oreilles de l'Empereur qui lui propose une terrible mission.
Foisonnant, tantôt naïf, parfois violent, documenté sans étalage, "le lecteur de cadavres" est un roman d'aventures formidable : Garrido l'a compris : une immersion au coeur d'une Chine crasse, débridée, franchement sournoise dont la justice est un modèle rugueux qui côtoie les plus sombres cavernes de l'âme humaine, sera le meilleur des décors pour cette traversée sans équivalent. Pleins de doutes sur ce que les Dieux lui font, mais inébranlablement convaincu que le savoir triomphera de l'ignominie, Ci traverse sa vie plus vite qu'elle ne le transperce. On se laisse noyer par l'âpreté de ce monde qui nous parait presque extra terrestre tant il bouscule nos imageries chinoises.
Après "Je suis Pilgrim", contemporain jusqu'à l'os, "Le lecteur de cadavres" est le grand roman d'aventures lointaines que nous attendions cette année."