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Les coups de coeur des libraires

Les libraires sont toujours de bon conseil,
alors leurs coups de cœur sont forcément des livres qui vont vous plaire…

En cette rentrée littéraire, Gérard Mordillat signe un roman percutant qui trouve un écho particulier dans notre actualité. Une tour, fief d’une compagnie d’assurances, se révèle une allégorie cinglante de notre société.

La tour Magister se dresse fièrement dans le parc de la Défense. Trente-huit étages de métal hiérarchisés, la direction au sommet, les petites mains au rez-de-chaussée. Dissimulés dans les sous-sols de la tour, se terrent les laissés-pour-compte, sans-abri, junkies, sans-papiers qui tentent de survivre avec des miettes. Des univers séparés par le béton. Partant de ce microcosme, Mordillat construit un roman choral épatant, mettant en scène une cinquantaine de personnages. En fil rouge, le destin de Peggy, qui tente de faire le lien entre les deux mondes. Le jour, c’est une hôtesse d’accueil appréciée et désirée, le soir, la résidente du parking de la tour, où elle retrouve dans une carcasse de voiture son frère illuminé. On suit aussi Nelson, autre personnage marquant, qui après avoir côtoyé les sommets de la tour, plonge dans les abîmes de la misère et de la folie à la suite de son licenciement.

L’engagement de Gérard Mordillat n’est plus à démontrer, mais la réussite de La Tour abolie réside sans doute dans cette faculté à dépeindre notre réalité sociale et le monde du travail sans verser dans la caricature. Un roman mordant donc, au rythme effréné, qui finit dans un feu d’artifice salvateur.

GUILLAUME FOUSSARD, Librairie Le Méandre, Meudon

Dans ce cinquième roman (le premier traduit en France), Charlotte Wood nous entraîne dans un thriller psychologique féroce, roman glaçant au cœur d’un désert australien hostile.

Dix femmes se réveillent en plein cauchemar. Enlevées, elles se retrouvent enfermées dans une sorte de camp de redressement où elles sont censées être « rééduquées ». On ne sait pas comment elles sont arrivées là mais il apparaît très vite que toutes ont, soi-disant, commis des actes répréhensibles impliquant des hommes de pouvoir ou médiatiques, et que toute fuite est impossible. Deux hommes, une brute vicieuse et un adepte du Yoga, pas franchement gardiens professionnels, sont chargés de leur surveillance. Dans un jeu de rôle malsain visant à faire disparaître toute trace d’humanité en elles, elles vont devoir se prêter aux mises en scène macabres et tordues imaginées par leurs geôliers. Forcées à la discipline et à l’obéissance, réduites au rang d’animaux, humiliées quotidiennement, leur survie tiendra à la fois à leur capacité d’adaptation, à leur force mentale mais aussi aux liens ténus qu’elles tisseront entre elles. Quand la faim commence à se faire sentir, que l’enfermement devient de plus en plus oppressant, c’est la part d’instinct et d’animalité qui sommeille en nous qui sauvera celles qui s’en remettent à la Nature des choses.

MARIA FERRAGU, Librairie Le Passeur de l'Isle, L'Isle-sur-la-Sorgue

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