Ce roman pourrait aussi être un film, jamais tourné, ébauché, jamais terminé. Une plaie non refermée, ouverte à jamais, animée de colère et de vengeance ressassée. Une peine immense, lourde et ouverte, de non-dits, de culpabilité et de remords. Et toujours la colère gronde et couvre tout. Le narrateur a survécu. Il est le survivant, adulte empli de colère, de honte et de silences. Il est celui qui ne devrait pas être, le « tiot », le petit frère apeuré d’amour pour son frère, fier et admiratif. Époustouflé par la mine, par les mineurs, par leur labeur, par leur abnégation mêlée d’orgueil, il est celui qui reste, orphelin de tous, orphelin de lui-même, comme rejeté. La souffrance est immense, ambivalente et dans cette ambivalence, le roman se déploie, la force narrative de Sorj Chalandon s’accomplit avec une rigueur magistrale et organisée, comme dans un procès. Implacable. Le roman est le procès en instance, réclamant jugement et vérité, souhaitant compléter le premier procès à peine entamé, vite balayé puis traîné en longueur, inutilement. Ce roman est un cri, une alarme de plus tirée par Sorj Chalandon pour évoquer les disparus, les oubliés de l’Histoire, les oubliés des tragédies, les oubliés des guerres, des infamies et des maltraitances, les oubliés tout court. Lumière et projecteurs sur le tribunal de Saint-Omer en 2017, après les longs travellings en 1974 dans les rues noires et embrumées d’une petite ville minière du Nord où l’absence résidait et présidait déjà : le réquisitoire sublime de l’avocat général est un morceau littéraire inoubliable, glaçant dans sa dureté et sa franchise. Le Jour d’avant est le roman d’un individu profondément seul, convaincu de sa vérité contre la société, son combat de toute une vie.